Ethnographier un établissement public de santé mentale (EPSM) en qualité d’élève directrice d’hôpital : une occasion de remettre le concept d’« institution totale » sur le métier ?

Cet article se fonde sur un terrain ethnographique de huit semaines en établissement public de santé mentale (EPSM) pendant lesquelles la sociologue a tiré parti de la période de stage d’observation relative à sa formation de directrice d’hôpital pour mener une enquête circonscrite à son établissement de stage, un centre hospitalier parmi les plus grands de France au regard de son budget et de sa file active, pratiquant la psychiatrie générale, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, ainsi que la psychiatrie de la personne âgée. L’objet de cet article est d’interroger la vitalité du concept d’« institution totale » au prisme d’un terrain réalisé dans des conditions originales pour la chercheuse, en prenant en compte les conséquences que ces modalités de réalisation ont eues sur le déroulé et les résultats de l’enquête, ainsi que sur la manière de faire travailler le concept d’« institution totale ».

mots-clés : psychiatrie, hôpital, institution totale, ethnographie, désinstitutionnalisation, détotalisation, sociologie


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Institution totale : ambiguïtés et potentialités d’un concept bien vivant

Le concept d’institution totale est devenu une référence classique, un incontournable, pour caractériser les institutions d’enfermement. S’il est fréquemment mobilisé dans les travaux de recherche, il est souvent peu discuté ou ses caractéristiques sont rarement analysées alors même que les définitions ou les dimensions de la « total institution » sont plurielles. L’article s’interroge sur les ambiguïtés de ce concept clé et sur le lien éventuel entre la coexistence de multiples interprétations que l’institution totale a suscitées et le succès d’Asiles d’Erving Goffman en 1968. Il propose plusieurs pistes pour rendre ce concept « opérationnel » dans des pratiques de terrain en s’appuyant sur diverses recherches, notamment sur la prison. L’article entend ainsi démontrer que l’institution totale continue d’être un concept bien vivant, et ce même si des formes de détotalisation voire de détotalitarisation sont constatées dans nombre d’institutions.

mots-clés : institution totale, prison, théorie, détotalisation, enquête, enfermement


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Les communautés thérapeutiques pour usagers de drogues : comment les institutions se détotalisent

Les institutions totales décrites par Erving Goffman dans les années 1950 aux États-Unis ont connu un succès intellectuel dans le monde entier. Depuis, les sciences sociales n’ont de cesse d’analyser les évolutions qui touchent l’ensemble du phénomène institutionnel, entre annonce de son déclin et résurgence de dispositifs de contrainte dans de multiples domaines (centres fermés pour jeunes délinquants, centres de rétention pour migrants en situation illégale…). Le présent article propose une socio-histoire basée sur trois interventions dans des communautés thérapeutiques pour la prise en charge résidentielle d’usagers de drogue dépendants basée sur l’encadrement par les pairs. L’article montre que ces communautés qui initialement visaient l’abstinence ont débuté leur carrière sur le mode des institutions totales en développant un haut niveau de violence institutionnelle à l’encontre des reclus, puis ont connu des évolutions notoires qui montrent comment les institutions se sont détotalisées pour devenir des organisations hybrides tant du point de vue des moyens engagés que des finalités normatives poursuivies.

mots-clés : communautés thérapeutiques, usagers de drogues, pairs, addiction, soin résidentiel, détotalisation


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

« On est plus dans le cocooning ». Au bloc opératoire pédiatrique, une « détotalisation » par petites touches

Au sein de l’univers chirurgical, la chirurgie infantile constitue un « segment » dont les spécificités sont souvent déconsidérées par les professionnels de chirurgie adulte et dont la place tend à être minorée dans l’organisation institutionnelle. Sur la base d’un terrain ethnographique au sein des salles de chirurgie viscérale du bloc pédiatrique d’un Centre hospitalier universitaire (CHU) parisien, cet article explore la culture professionnelle de cette « filière de soins philanthropique ». Nous soutenons que la chirurgie infantile tire sa singularité de la « détotalisation » du paradigme fonctionnaliste et hygiéniste du bloc opératoire qu’elle insuffle. Si cette détotalisation est avant tout liée aux techniques et stratégies mises en œuvre par les professionnels pour aménager l’accueil du patient et adoucir son entrée dans l’institution totale qu’est le bloc opératoire, elle tient aussi aux conceptions alternatives que les équipes se font des jeunes « reclus », plus humanisés, au risque de voir leur blindage émotionnel se fragiliser. Ce faisant, la chirurgie pédiatrique apparait comme un pôle réformateur pour la chirurgie, à l’heure d’attentes renouvelées en matière d’humanisation des soins et du renouvellement sociodémographique des praticiens.

mots-clés : segment, chirurgie, bloc opératoire, enfant, institution totale, soignant, culture professionnelle, rituels


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Que reste-t-il du sujet dans la démence ? Enquêtes dans deux institutions de soins tournées vers « la personne »

En France, l’avancée des droits des patients dans les institutions de soins dites « totales » a participé à la promotion de l’autonomie de l’usager et la mise en place de projets tournés vers « la personne ». Dans les EHPAD (Établissements pour personnes âgées dépendantes) ou dans les FAM (Foyers d’accueil médicalisés) spécialisés dans l’accueil de patients souffrant de démences (Alzheimer, démence frontotemporale), les soignants sont fortement encouragés à dépasser l’interprétation purement neuronale du comportement des résidents. C’est « la personne » et non « le cerveau » qu’il faut placer au centre de l’expérience médicale. Néanmoins, ce principe est exigeant. Car comment établir avec l’autre une relation interpersonnelle alors qu’il est atteint d’une maladie qui désintègre précisément le langage, la mémoire et la personnalité ? Cet article travaille l’ambiguïté qui caractérise le soin pour les personnes atteintes de démence et décrit deux situations où se manifestent les problèmes, le malaise, et l’inquiétude des soignants à s’adresser à une subjectivité dont la continuation même est menacée. Pour ce faire, nous avons enquêté séparément dans deux établissements et présentons deux récits de cas qui mettent en évidence les épreuves, les difficultés et les efforts engagés pour saisir, protéger ou retenir ce qu’il reste de la subjectivité des personnes dans ces maladies.

mots-clés : démence, la personne, institutions totales, ethnographie


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Une institution totale, vraiment ? Enjeux méthodologiques de l’enquête ethnographique en psychiatrie communautaire

Cet article met en évidence les enjeux méthodologiques d’une ethnographie de la psychiatrie qui se déroule dans un contexte où, d’une part, cette dernière a connu de nombreuses transformations, s’éloignant d’une institution totale, et où, d’autre part, les travaux en sciences sociales ont également pris leur distance avec ce concept. Je propose ainsi une réflexion en deux temps. Premièrement, je m’intéresse à la manière dont l’entrée dans l’institution et le positionnement sur le terrain influent sur le type de données produites. J’évoque les difficultés rencontrées lorsqu’un fort lien affectif a été noué avec l’équipe soignante, mais également les outils qui permettent de reprendre de la distance critique. Dans un deuxième temps, je reviens sur le type d’institution dans laquelle je suis entrée, en m’intéressant aux changements par rapport à l’institution totale, tout en soulignant ce qui persiste de celle-ci. Je montre que la prise de distance avec la notion d’institution totale, de la part des chercheurs et chercheuses comme des équipes soignantes, tend à invisibiliser les rapports de pouvoir qui sous-tendent les relations entre patient·es et soignant·es. En conclusion, je reviens sur les difficultés de rendre compte du discours de symétrie des relations et d’empowerment des patients et patientes qui entourent certains dispositifs de soins, tout en analysant ce qu’il y reste de contrainte et de contrôle.

mots-clés : psychiatrie, rétablissement, institution totale, ethnographie


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Ethnographe(s) au régiment. Y être sans en être, pour un engagement « sur-mesure »

Le milieu académique considère bien souvent les armées comme des terrains de recherche difficiles d’accès et délicats à conduire, à la fois parce qu’elles sont réputées closes, secrètes et taiseuses, et surtout peu enclines à se laisser scruter par des observateurs et observatrices extérieures. Cet article propose d’examiner les postures d’enquête par observation directe expérimentées au sein des forces armées françaises, et d’interroger les conditions historiques, organisationnelles et sociales qui permettent de s’y établir et d’y mener un terrain à caractère ethnographique.

mots-clés : réflexivité, conditions d’enquête, observation directe, outsider, insider, armée, soldats


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Des institutions totalement goffmaniennes ?

Le numéro « Ethnographier les institutions totales » s’est fixé pour objectif de remettre sur le métier le concept d’institution totale, forgé par Erving Goffman dans les années 1950 aux États-Unis, et popularisé par son essai Asiles en 1968. Le concept, qui se caractérise à la fois par sa dimension descriptive et critique, a depuis été mobilisé par les sciences sociales pour étudier différentes institutions, qui elles-mêmes ont connu des évolutions diachroniques obligeant à interroger la pertinence de son usage pour les définir. Pourtant, concept labile, il reste un outil heuristique fécond au regard des phénomènes de détotalisation (Rostaing 2009) et/ou de désinstitutionnalisation (Castel 2011) des institutions considérées. C’est de cette vitalité, mais aussi de cette plasticité du concept dont le présent numéro rend compte, en présentant des analyses explorant différents terrains : la prison, le bloc opératoire, le monastère, l’hôpital psychiatrique, les communautés thérapeutiques pour usagers de drogues, les institutions de soin dédiées aux personnes diagnostiquées démentes et l’armée.

mots-clés : institutions totales, armée, bloc opératoire, drogue, monastère, psychiatrie, prison, Goffman


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Des monastères détotalisés par la vieillesse. Transformations des communautés religieuses contemplatives contemporaines

Les monastères sont des lieux de vie réputés clos, régis par des règles internes strictes et où les intérêts de la communauté priment sur ceux des individus. Ils prennent aisément leur place dans la typologie goffmanienne des institutions totales. Pourtant, en l’espace d’un demi-siècle, la vie monastique s’est transformée, moins sous l’effet de mutations sociétales qu’en raison de la diminution des effectifs et du vieillissement des moines et moniales. Cet article s’attache à décrire comment ce qui caractérise la vie monastique perdure tout en se transformant pour que cette dernière puisse s’adapter à la situation sanitaire des communautés. Idéal-type de la théorie goffmanienne, si le monastère en garde aujourd’hui des traces, une ethnographie des lieux nous permet de rediscuter la pertinence du concept pour décrire une vie monastique qui s’est, sous de nombreux aspects, détotalisée.

mots-clés : monastère, institution totale, transformation, vieillesse


Numéro 46 – Décembre 2023 Ethnographier les institutions totales

/

Et quelquefois nous avons comme une grande idée

De quelles manières la littérature ethnographique s’intègre-t-elle dans le cours de notre propre travail de terrain ? Comment les expériences “mises en texte” de nos pairs peuvent-elles se transmettre et instruire notre manière d’enquêter ? En essayant d’apporter des éléments de réponse à ces questions, cet article tente d’éclairer certaines des modalités essentielles de constitution de l’équipement que l’ethnographe mobilise à chaque étape de son travail.

mots-clés : ethnographie, transmission, souci de soi, cogitamus


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Tisser l’authenticité. Rivalités autour de l’apprentissage du sabrage d’un ruban de coiffe en pays d’Arles

Le ruban de coiffe est emblématique du costume traditionnel féminin en pays d’Arles, toujours porté par des passionnées. Pourtant, il n’a jamais été produit localement et dépendait, jusqu’au XXe siècle, de l’industrie de la passementerie. Aujourd’hui, deux groupes rivaux ont entrepris de relancer la fabrication de ces rubans et redécouvrent, à quelques années d’écart, la technique du sabrage. Toutefois, si cet art semble strictement identique dans la pratique de ces deux collectifs, il est décrit en des termes très différents. En s’intéressant aux discours qui se déploient au cours de l’apprentissage dans chaque groupe, il apparaît que le savoir-faire se charge de valeurs morales parfois antagonistes. Le statut de l’objet finalement produit est alors transformé, ainsi que les représentations qui l’entourent.

mots-clés : authenticité, savoir-faire, valeurs, patrimoine, pays d’Arles, costume


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Vers une colonisation des esprits ? Les enjeux sociaux, politiques, linguistiques et cognitifs des formes de transmission à Wallis

Alors que l’État français accorde davantage de respect et d’autonomie aux sociétés des territoires du Pacifique qu’il a pliées sous le joug colonial, on constate à Wallis (Polynésie occidentale) le poids grandissant de l’administration française dans l’articulation entre socialisation, éducation et reconduction du monde social. Dans un contexte de mutations rapides, la généralisation de la langue française doit être questionnée au regard de ce qui fonde cette société et son devenir. Cette généralisation tend, en effet, à effacer les formes locales d’éducation et de socialisation primaire visant une parfaite compréhension des relations sociocosmiques en contexte, l’appropriation des structures de l’action, plus généralement, une bonne maîtrise de l’idéologie sémiotique. Car, selon la théorie wallisienne de l’action, prendre la parole à bon escient revient à agir sur le monde conformément aux valeurs qui le fondent.

mots-clés : socialisation, éducation, politique des langues, structures de l’action, idéologie sémiotique, théorie locale de l’action


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Les pratiques de transmission du théâtre chanté chinois dans « l’espace du peuple ». Traditions, modernité, officialité

De longues enquêtes réalisées en Chine entre 2000 et 2018, relatives à différentes pratiques théâtrales de la campagne et de la ville, ont fourni des données permettant d’analyser leurs formes de transmission. Les analyses du terrain chinois doivent prendre en compte des distinctions radicales opérant sur trois plans : historique (avec la date-rupture de la prise de pouvoir du Parti communiste en 1949 qui instaure une nouvelle société) ; structurel (avec la distinction pérenne entre deux sphères sociales nommées « espace officiel » et « espace du peuple ») ; et urbanistique (avec la politique actuelle visant 70 % d’urbains en 2025). Les réformes des années 1980 ont permis aux sociétés locales de renouer avec l’« espace du peuple » en retrouvant des formes théâtrales traditionnelles où se pratique un enseignement alliant la relation privilégiée entre maître et disciple, la formation par symbiose dans le partage des activités, et de fortes contraintes physiques. Mais les années Xi Jinping (depuis 2012) tendent à uniformiser la société en écrasant « l’espace du peuple » et les traditions de transmission théâtrale au profit d’écoles de théâtre urbaines. Désormais, le Parti s’immisce dans tous les cercles du théâtre pour mieux les contrôler, tandis que les relations sociales communautaires évoluent vers un individualisme cependant dépourvu de toute possibilité de mettre en pratique des rapports plus libres et égalitaires.

mots-clés : Chine, théâtre chanté chinois, formation, modernité, tradition, officialité


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Recomposer son monde avec du qi (氣) ? Récit d’itinéraires somatiques de trois praticiens français de zhineng qigong (qi gong de la sagesse)

Articulant trois entretiens et des observations de terrain, cet article propose de mettre en récit les processus par lesquels des praticiens français de zhineng qigong recomposent au quotidien la perception de leur corps et de leurs environnements à partir d’un nouvel existant : le qi. Par la mise en perspective de leurs pratiques ordinaires, de leurs discours et des enseignements qu’ils ont reçus, je tente de mettre au jour le rôle de l’expérience somatique dans les conflictualités et négociations ontologiques, axiologiques et heuristiques générées par l’exercice de cette discipline. Se dévoilent ainsi progressivement les multiples gestes de « récalcitrance » inventés par les praticiens pour élaborer des mises en variation de leurs apprentissages du zhineng qigong.

mots-clés : expérience somatique, qi, énergie, zhineng qigong, récalcitrance


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Les étiologies vernaculaires du psoriasis

Cet article présente les premiers résultats d’une enquête ethnographique menée en France et en Belgique auprès de personnes atteintes de psoriasis. Il interroge ce qu’elles ont appris de leur maladie, comment elles ont acquis ces connaissances et quelle attitude elles entretiennent à son égard. L’enquête met en évidence trois attitudes possibles. La première consiste à ne pas chercher à savoir afin d’éviter de s’exposer aux conséquences affectives négatives d’une information à laquelle on ne serait pas préparé. La deuxième consiste à faire avec les informations disponibles, ce qui signifie souvent se contenter de savoirs lacunaires, à demi compris et s’accommoder des angles morts de la compréhension du pourquoi et du comment de sa maladie. Une troisième attitude consiste à chercher à comprendre le mode de fonctionnement du psoriasis dans le but de multiplier les prises et les moyens d’action sur son psoriasis. Cette compréhension est, la plupart du temps, plurivoque, partielle et changeante au cours du cheminement avec la maladie. La construction d’une étiologie vernaculaire du psoriasis s’apparenterait moins à un processus de thésaurisation de connaissances qu’à l’apprentissage d’une capacité à se saisir de savoirs utiles, de ceux qui permettent une prise sur la maladie et sur ses conséquences dans la vie au quotidien. Savoir consiste alors à potentialiser un pouvoir d’agir quitte à s’accommoder de la part de mystère voire, dans certains cas, à suspendre ou renoncer à la quête de sens qui caractérise le plus souvent le cheminement avec une maladie chronique.

mots-clés : psoriasis, étiologies vernaculaires, attitudes épistémiques, pratiques de connaissances, pouvoir d’agir


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Construire des bateaux et son apprentissage dans un chantier-école

Le chantier-école breton sur lequel porte cet article, propose une formation à la charpente de marine à destination de personnes en reconversion professionnelle. Dans ce lieu directement inspiré d’un chantier-école étasunien et de sa pédagogie « expérientielle », l’accent est mis sur la responsabilisation et l’autonomisation de stagiaires qui se voient confier plusieurs projets de constructions de bateaux en bois au cours de leur cursus. Réparti.es en groupe et encadré.es par deux formateurs, ces stagiaires consacrent l’essentiel de leur temps de formation à ces constructions intégrales qui constituent le principal vecteur d’apprentissage de la charpente de marine. Discrète aux premiers abords, la pédagogie qui se manifeste au travers du dispositif chantier-école ou des pratiques des formateurs, suscite diverses tensions qui interrogent les stagiaires et les invitent à se (trans)former tant techniquement que personnellement. En ce sens, loin d’être des effets indésirables, elles participent aux apprentissages de la charpente de marine et de l’autonomie promus au chantier-école.

mots-clés : charpente de marine, chantier-école, apprentissage, dispositif pédagogique, autonomie, ethnographie


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Sujet « prêt à l’emploi » ou « à (trans)former » ? Dilemmes et tensions dans la formation des corps scaphandriers en contexte institutionnel

Dans les écoles de scaphandriers se côtoient des sujets (stagiaires et formateurs) aux biographies, aux formations initiales et aux trajectoires professionnelles différentes ce qui donne lieu à des complicités inédites et des tensions plus ou moins attendues. Une ethnographie à l’échelle de ces tensions en situation de formation témoigne des enjeux d’une inscription de cette profession « récente » dans un réseau d’actions sur les actions des autres du travail alors que l’activité se nourrit d’une histoire entre armées, sport et travail.

L’article mobilise une anthropologie du savoir et une anthropologie du travail pour interroger la construction des sujets dans ce contexte : comment chacun s’empare-t-il de la formation ? Quelles modalités sont mises en œuvre pour s’assurer que les stagiaires seront prêts à s’immerger et travailler dans des environnements hostiles ? Quelles conceptions du sujet cette ethnographie met-elle au jour ?

mots-clés : ethnographie des tensions, transmission, travail, corps, sujet, environnements hostiles


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Apprendre la biomédecine et construire le travail de soin aux marges des savoirs locaux. Réflexions à partir du Burkina Faso

Au Burkina Faso, les facultés de médecine forment les étudiants à partir de programmes calqués sur ceux de pays du Nord dont la France, dans l’intention de les amener à disposer de savoirs biomédicaux et de modes de raisonnement sur le corps, les maladies, la guérison validés par la science. Leur caractère ʺuniverselʺ fonde leur position hiérarchiquement supérieure à d’autres savoirs locaux et participe de la fabrique d’une identité médicale transnationale. Ce cadre d’apprentissage et de transmission du modèle biomédical installe les médecins burkinabè dans une situation de continuité avec leurs collègues, où que se déroulent les formations puis l’exercice médical. Cependant l’usage du modèle appris dans l’ordinaire du travail concret de soin dévoile nombre d’articulations contrariées, tant au regard du contexte sociotechnique et économique étayant les pratiques, que des savoirs et traditions de soin qui réapparaissent dans la temporalité de l’exercice alors qu’ils ont été occultés durant les apprentissages. Depuis le contexte du Burkina Faso et en prenant ancrage dans le récit de vie d’une femme pédiatre, cet article interroge ce paradoxe fondateur des apprentissages biomédicaux valorisant un ʺmodèle idéalʺ réifié de la profession au détriment des réalités complexes, tant économiques que culturelles, dans lesquelles ce modèle doit se déployer. Cette situation produit une violence systémique qui place les médecins dans l’incapacité à sauver des vies alors qu’ils ont appris comment le faire.

mots-clés : formation médicale, Burkina Faso, biomédecine, savoirs locaux


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

Apprentissages à l’épreuve

Cette introduction aborde les apprentissages comme des épreuves, au sens pragmatique. En effet, les situations d’apprentissage recouvrent autant de moments où l’action s’interrompt, où la continuité de la pensée est suspendue et où il faut ré-évaluer, re-négocier, s’accorder pour que les choses reprennent leur cours. Ces épreuves façonnent des zones et des motifs de tensions qui font de tout apprentissage une arène où se rencontrent des forces, des conceptions et des attentes multiples. Les études de cas réunies dans ce numéro proposent ainsi d’analyser la manière dont des savoirs et des compétences sont transmis dans le cadre de situations de frottement et de tiraillement impliqués par la confrontation de savoirs et de modes d’apprentissage dont la nature, l’échelle, la perception ou les principes diffèrent. Pour introduire ces ethnographies, nous y relevons trois niveaux de lecture. D’abord, une attention au fait que les tensions traversant les apprentissages portent autant sur leurs contenus que sur leurs formes, sur leurs cadres techniques autant qu’épistémiques. Ensuite, l’ethnographie de ces épreuves permet une articulation des échelles en jeu, des institutions (proches ou lointaines) aux individus (avec leurs aspirations et leurs frustrations). Enfin, les apprentissages sous tension s’inscrivent dans les temporalités en mettant en évidence continuités et discontinuités dans la reconduction du social autant que dans les manières dont les individus cherchent à se projeter dans l’avenir.

mots-clés : apprentissage, conflit, transmission, savoirs, éducation


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

/

La colonialité du genre, ou comment « sauver » les victimes migrantes des violences conjugales

Cet article s’appuie sur une recherche empirique menée sur l’accueil des femmes subissant des violences conjugales dans un centre hospitalier en Suisse romande. Le cadre d’analyse mobilise l’intersectionnalité pour montrer comment l’identité nationale suisse est convoquée par le personnel de santé, face aux femmes migrantes, pour leur faire prendre conscience que leur situation est une situation de violence non admise en Suisse. Cette invocation de la loi suisse sous-entend que le manque de conscience de ce que ces victimes vivent aurait pour cause leur culture d’origine, culture où ces violences seraient censément tenues pour normales. Parallèlement, le manque de conscience des Suissesses des violences subies est mis sur le compte d’un problème psychologique à traiter par la thérapie. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, les résultats démontrent qu’au final, la prise en charge institutionnelle de ces femmes échoue à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur catégorisation ethnoracisée. De plus, cette recherche illustre de manière théorique comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés de manière à prendre en compte la colonialité du genre en train de se faire, au cours de ces échanges étudiés entre le personnel de la santé et les femmes victimes de violences conjugales.

mots-clés : intersectionnalité, violences conjugales, sexisme et racisme, institutions médicales, colonialité du genre


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/

Quand l’ethnographie attache et engage. Réflexions sur un terrain en tandem au sein d’un réseau associatif se mobilisant pour le patrimoine

À partir de notre expérience de recherche en tandem, nous souhaitons revenir sur la portée heuristique d’une analyse réflexive des engagements du chercheur et de ses émotions. Nous partirons pour cela du récit de trois situations d’enquête retraçant l’évolution de nos postures d’enquêtrices et la dynamique de la relation d’enquête au sein d’un collectif de soutien à la création d’un projet d’écomusée peul au Sénégal. Cette analyse réflexive nous permettra de revenir sur notre positionnement qui a oscillé entre distance, attachement et engagement, mais aussi d’analyser les tensions qui entourent le processus d’écriture, pris entre le temps long de la déprise, les enjeux de restitution et les demandes de participation des acteur·rice·s.

mots-clés : enquêter en tandem, engagement, patrimonialisation en migration, réflexivité, émotions


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/

Des actrices et un chercheur : une configuration qui pose problème sur le terrain ?

En me basant sur une recherche anthropologique de terrain conduite avec une quarantaine d’actrices dans les alpes valaisannes, je reviens dans cet article sur un enjeu épistémo-méthodologique qui se rapporte à la possibilité pour un homme cisgenre de comprendre puis de rendre compte des discours des femmes avec lesquelles il travaille. C’est-à-dire à “parler pour elles” malgré les statuts sociaux toujours largement inégaux des unes et de l’autre dans nos sociétés occidentales et quelques fortes réserves formulées par certaines auteures féministes. Martin et Roux (2015 : 6) posent cette question de la légitimité dans les termes suivants : « La posture que l’on adopte dans une recherche (…) reproduit-elle nécessairement la position que l’on occupe structurellement dans une société ? ». Se pourrait-il, à l’inverse, que ce cadre d’interactions peu courant contribue à “défaire le genre” pour les personnes impliquées dans l’enquête ?

mots-clés : épistémologie, genre, terrain de recherche, légitimité, division sexuée du travail, projet de développement


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/

Gringa, habille-toi ! Le corps vêtu, un texte caché des Andes

Pourquoi les habitants d’une communauté des Andes péruviennes ne cessent d’inviter « l’étrangère blanche » à vêtir les jupes locales ? L’article défend l’hypothèse que ces injonctions vestimentaires sont l’indice d’un « texte caché », au sens de James Scott. Grâce à son maniement, mes interlocuteurs résistent à bas bruit au texte officiel – raciste – des rapports de pouvoir dans les Andes : en habillant et déshabillant là où le racisme hégémonique blanchit et indianise. Pour ce faire, cet article met en œuvre une perspective métaréflexive et une anthropologie attentive aux dires minuscules du quotidien quechua et espagnol. J’analyse d’abord comment mes interlocuteurs détricotent les taxonomies dominantes (indio, gringo, mestizo) et opposent, en dernière instance, l’« indienne vêtue » au « blanc nu ». Je montre ensuite que ce contre-texte vestimentaire manipulé dans les communautés s’appuie sur un rapport de domination local – entre les hommes et les femmes –, en resignifiant la pratique d’« habiller l’épouse ».

mots-clés : Andes, vêtement, racisme, anthropologie sociale langagière, quechua, texte caché.


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/

Observer la masculinité violente en train de se faire au sein de la relation d’enquête. Retour réflexif sur une recherche avec des auteurs de violences conjugales

Cette contribution souhaite analyser les dynamiques de la violence de genre au sein de la relation d’enquête et la manière dont elle s’est révélée au cours d’un terrain ethnographique conduit en France auprès d’hommes adultes et hétérosexuels auteurs de violences conjugales. Après avoir présenté le contexte et la méthodologie d’enquête, l’article se focalise sur deux rencontres spécifiques, analysées à partir du journal de terrain : un premier entretien avec un homme qui fait l’objet d’une interdiction de contact avec son épouse, et un deuxième avec un homme qui, de manière inattendue, s’est présenté au rendez-vous accompagné par la victime de ses violences. Chaque rencontre, coconstruite par l’enquêtrice et l’enquêté en raison de l’imbrication de plusieurs rapports sociaux (race, classe, sexe, âge et origine), est devenue une occasion d’observer pratiquement la mise en scène stratégique du genre et son rapport à la violence, ainsi que la façon dont cette dimension a permis aux enquêtés de se situer dans une position hiérarchique dominante vis-à-vis de la chercheuse. Le questionnement réflexif permet ici de comprendre les effets de la violence masculine contre les femmes non seulement dans l’intimité mais aussi dans la relation d’enquête ; en même temps, il contribue à éclairer les limites et les atouts de l’approche ethnographique qui, en tant que telle, présuppose la proximité et l’engagement personnel par les corps.

mots-clés : violences conjugales, genre, masculinités, réflexivité, subjectivité, émotions, ethnographie


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/

Le genre : de l’impasse à la catégorie pertinente pour l’analyse du handicap en prison pour hommes

Comment définir le handicap ? Question déjà complexe et qui implique plusieurs points de vue. Comment définir le handicap dans une prison pour hommes ? Voici la question que j’ai eu à résoudre lors d’une recherche doctorale. Cette question est venue “troubler“ une ethnographie au premier abord sans encombre : décrire un milieu qui attise la curiosité, suscite l’indignation et les positionnements moraux. Or, que décrire lorsque le sujet est à la fois foisonnant et conflictuel, quand il semble nous glisser entre les mains ? Une analyse interactionniste a permis de comprendre l’activité constante de jugement, de classement et de catégorisation en prison. La théorie de la « performativité du genre » a ensuite aidé à stabiliser mes analyses. Cet article propose de décrire comment se saisir du « trouble dans le genre », que j’ai éprouvé et provoqué dans le milieu carcéral, m’a permis de découvrir les normes d’hypermasculinité qui régissaient l’ordre pénitentiaire. Dans ce contexte, les prisonniers vus comme handicapés agissaient comme une sorte d’irritant, attirant l’attention sur l’existence de faiblesses et de souffrances que le contexte pénitentiaire œuvrait pour ignorer.

mots-clés : genre, masculinité, prison, handicap, interactionnisme


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

/