La colonialité du genre, ou comment « sauver » les victimes migrantes des violences conjugales

Cet article s’appuie sur une recherche empirique menée sur l’accueil des femmes subissant des violences conjugales dans un centre hospitalier en Suisse romande. Le cadre d’analyse mobilise l’intersectionnalité pour montrer comment l’identité nationale suisse est convoquée par le personnel de santé, face aux femmes migrantes, pour leur faire prendre conscience que leur situation est une situation de violence non admise en Suisse. Cette invocation de la loi suisse sous-entend que le manque de conscience de ce que ces victimes vivent aurait pour cause leur culture d’origine, culture où ces violences seraient censément tenues pour normales. Parallèlement, le manque de conscience des Suissesses des violences subies est mis sur le compte d’un problème psychologique à traiter par la thérapie. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, les résultats démontrent qu’au final, la prise en charge institutionnelle de ces femmes échoue à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur catégorisation ethnoracisée. De plus, cette recherche illustre de manière théorique comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés de manière à prendre en compte la colonialité du genre en train de se faire, au cours de ces échanges étudiés entre le personnel de la santé et les femmes victimes de violences conjugales.

mots-clés : intersectionnalité, violences conjugales, sexisme et racisme, institutions médicales, colonialité du genre


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Quand l’ethnographie attache et engage. Réflexions sur un terrain en tandem au sein d’un réseau associatif se mobilisant pour le patrimoine

À partir de notre expérience de recherche en tandem, nous souhaitons revenir sur la portée heuristique d’une analyse réflexive des engagements du chercheur et de ses émotions. Nous partirons pour cela du récit de trois situations d’enquête retraçant l’évolution de nos postures d’enquêtrices et la dynamique de la relation d’enquête au sein d’un collectif de soutien à la création d’un projet d’écomusée peul au Sénégal. Cette analyse réflexive nous permettra de revenir sur notre positionnement qui a oscillé entre distance, attachement et engagement, mais aussi d’analyser les tensions qui entourent le processus d’écriture, pris entre le temps long de la déprise, les enjeux de restitution et les demandes de participation des acteur·rice·s.

mots-clés : enquêter en tandem, engagement, patrimonialisation en migration, réflexivité, émotions


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Des actrices et un chercheur : une configuration qui pose problème sur le terrain ?

En me basant sur une recherche anthropologique de terrain conduite avec une quarantaine d’actrices dans les alpes valaisannes, je reviens dans cet article sur un enjeu épistémo-méthodologique qui se rapporte à la possibilité pour un homme cisgenre de comprendre puis de rendre compte des discours des femmes avec lesquelles il travaille. C’est-à-dire à “parler pour elles” malgré les statuts sociaux toujours largement inégaux des unes et de l’autre dans nos sociétés occidentales et quelques fortes réserves formulées par certaines auteures féministes. Martin et Roux (2015 : 6) posent cette question de la légitimité dans les termes suivants : « La posture que l’on adopte dans une recherche (…) reproduit-elle nécessairement la position que l’on occupe structurellement dans une société ? ». Se pourrait-il, à l’inverse, que ce cadre d’interactions peu courant contribue à “défaire le genre” pour les personnes impliquées dans l’enquête ?

mots-clés : épistémologie, genre, terrain de recherche, légitimité, division sexuée du travail, projet de développement


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Gringa, habille-toi ! Le corps vêtu, un texte caché des Andes

Pourquoi les habitants d’une communauté des Andes péruviennes ne cessent d’inviter « l’étrangère blanche » à vêtir les jupes locales ? L’article défend l’hypothèse que ces injonctions vestimentaires sont l’indice d’un « texte caché », au sens de James Scott. Grâce à son maniement, mes interlocuteurs résistent à bas bruit au texte officiel – raciste – des rapports de pouvoir dans les Andes : en habillant et déshabillant là où le racisme hégémonique blanchit et indianise. Pour ce faire, cet article met en œuvre une perspective métaréflexive et une anthropologie attentive aux dires minuscules du quotidien quechua et espagnol. J’analyse d’abord comment mes interlocuteurs détricotent les taxonomies dominantes (indio, gringo, mestizo) et opposent, en dernière instance, l’« indienne vêtue » au « blanc nu ». Je montre ensuite que ce contre-texte vestimentaire manipulé dans les communautés s’appuie sur un rapport de domination local – entre les hommes et les femmes –, en resignifiant la pratique d’« habiller l’épouse ».

mots-clés : Andes, vêtement, racisme, anthropologie sociale langagière, quechua, texte caché.


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Observer la masculinité violente en train de se faire au sein de la relation d’enquête. Retour réflexif sur une recherche avec des auteurs de violences conjugales

Cette contribution souhaite analyser les dynamiques de la violence de genre au sein de la relation d’enquête et la manière dont elle s’est révélée au cours d’un terrain ethnographique conduit en France auprès d’hommes adultes et hétérosexuels auteurs de violences conjugales. Après avoir présenté le contexte et la méthodologie d’enquête, l’article se focalise sur deux rencontres spécifiques, analysées à partir du journal de terrain : un premier entretien avec un homme qui fait l’objet d’une interdiction de contact avec son épouse, et un deuxième avec un homme qui, de manière inattendue, s’est présenté au rendez-vous accompagné par la victime de ses violences. Chaque rencontre, coconstruite par l’enquêtrice et l’enquêté en raison de l’imbrication de plusieurs rapports sociaux (race, classe, sexe, âge et origine), est devenue une occasion d’observer pratiquement la mise en scène stratégique du genre et son rapport à la violence, ainsi que la façon dont cette dimension a permis aux enquêtés de se situer dans une position hiérarchique dominante vis-à-vis de la chercheuse. Le questionnement réflexif permet ici de comprendre les effets de la violence masculine contre les femmes non seulement dans l’intimité mais aussi dans la relation d’enquête ; en même temps, il contribue à éclairer les limites et les atouts de l’approche ethnographique qui, en tant que telle, présuppose la proximité et l’engagement personnel par les corps.

mots-clés : violences conjugales, genre, masculinités, réflexivité, subjectivité, émotions, ethnographie


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Le genre : de l’impasse à la catégorie pertinente pour l’analyse du handicap en prison pour hommes

Comment définir le handicap ? Question déjà complexe et qui implique plusieurs points de vue. Comment définir le handicap dans une prison pour hommes ? Voici la question que j’ai eu à résoudre lors d’une recherche doctorale. Cette question est venue “troubler“ une ethnographie au premier abord sans encombre : décrire un milieu qui attise la curiosité, suscite l’indignation et les positionnements moraux. Or, que décrire lorsque le sujet est à la fois foisonnant et conflictuel, quand il semble nous glisser entre les mains ? Une analyse interactionniste a permis de comprendre l’activité constante de jugement, de classement et de catégorisation en prison. La théorie de la « performativité du genre » a ensuite aidé à stabiliser mes analyses. Cet article propose de décrire comment se saisir du « trouble dans le genre », que j’ai éprouvé et provoqué dans le milieu carcéral, m’a permis de découvrir les normes d’hypermasculinité qui régissaient l’ordre pénitentiaire. Dans ce contexte, les prisonniers vus comme handicapés agissaient comme une sorte d’irritant, attirant l’attention sur l’existence de faiblesses et de souffrances que le contexte pénitentiaire œuvrait pour ignorer.

mots-clés : genre, masculinité, prison, handicap, interactionnisme


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Ethnographier en féministe : l’art des conséquences

Dans cette introduction, nous présentons un aperçu “indiscipliné”, à la fois rétrospectif et prospectif, sur l’ethnographie féministe. Revenant sur le développement des études genre, nous identifions trois inflexions importantes qui ont été articulées au cours des quarante dernières années et émergent de façon saillante aujourd’hui : premièrement, les dynamiques genrées qui sous-tendent la production des connaissances scientifiques ; deuxièmement, les effets réifiants et discriminants des systèmes sociaux de catégorisation ; et troisièmement, les hypothèses biologisantes et binaires qui fondent l’ordre du genre et sont au coeur de la division entre nature et culture opérée dans la pensée occidentale moderne. Nous projetant dans le futur, nous décrivons quatre questionnements caractéristiques du champ multidisciplinaire de l’ethnographie féministe contemporaine, qui conduisent à des degrés divers à un “décentrement” de l’objet de la recherche, à une complexification de la question de la parole, à l’expérimentation de pratiques de représentation alternatives et à une éthique du care, de l’attention et de l’engagement. Nous concluons en encourageant les chercheuses intéressées à poursuivre l’expérimentation de perspectives innovantes et “troublantes” sur lesquelles l’analyse de genre a été fondée et continuera de se développer.

mots-clés : études genre, ethnographie féministe, savoirs situés, distinction sexe/genre, nouveaux féminismes matérialistes, intersectionnalité, représentation, éthique du care


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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AMIOTTE-SUCHET Laurent, 2021. Frères de douleur. Récit d’un ethnologue en pèlerinage à Lourdes.

Pour ceux qui s’intéressent à l’ethnographie du catholicisme, les travaux de Laurent Amiotte-Suchet constituent une approche originale et une source d’inspiration par la variété des thèmes qu’il aborde : des pèlerinages mariaux jusqu’au vieillissement dans les couvents et monastères, en passant par l’exorcisme. Dans son dernier ouvrage, l’anthropologue français parcourt et résume une décennie d’observations sur le site des sanctuaires de Lourdes, où il s’est rendu à plusieurs reprises d’abord comme[…]


Comptes-rendus d’ouvrages

Ours du numéro 44

Numéro 44 – décembre 2022

Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

(https://www.ethnographiques.org/2022/numero-44)

Dossier coordonné par Ellen Hertz, Nolwenn Bülher et Marion Schulze

A contribué à ce numéro :


Anabel Vazquez, relecture éditoriale et intégration web

Membres du comité de direction :


Sophie Chevalier, Thierry Wendling, codirecteurs

Nicolas Adell, Laurent Amiotte-Suchet, Leïla Baracchini, Florence Bouillon, Gaetano Ciarcia, Cécile Guillaume-Pey, Ellen[…]


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Éditorial

Avec ce Varia, nous mettons à l’honneur des chercheurs et leurs approches singulières qui rappellent combien l’anthropologie visuelle recèle une variété d’approches, de méthodes et bien évidemment de terrains.
Les trois premiers articles n…

Editorial

1 December 2022
In this issue of Varia, we present researchers and their singular approaches that remind us of various perspectives, methods and fields of study in visual anthropology.
The first three articles reveal tensions between…