Vers une colonisation des esprits ? Les enjeux sociaux, politiques, linguistiques et cognitifs des formes de transmission à Wallis

Alors que l’État français accorde davantage de respect et d’autonomie aux sociétés des territoires du Pacifique qu’il a pliées sous le joug colonial, on constate à Wallis (Polynésie occidentale) le poids grandissant de l’administration française dans l’articulation entre socialisation, éducation et reconduction du monde social. Dans un contexte de mutations rapides, la généralisation de la langue française doit être questionnée au regard de ce qui fonde cette société et son devenir. Cette généralisation tend, en effet, à effacer les formes locales d’éducation et de socialisation primaire visant une parfaite compréhension des relations sociocosmiques en contexte, l’appropriation des structures de l’action, plus généralement, une bonne maîtrise de l’idéologie sémiotique. Car, selon la théorie wallisienne de l’action, prendre la parole à bon escient revient à agir sur le monde conformément aux valeurs qui le fondent.

mots-clés : socialisation, éducation, politique des langues, structures de l’action, idéologie sémiotique, théorie locale de l’action


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Les pratiques de transmission du théâtre chanté chinois dans « l’espace du peuple ». Traditions, modernité, officialité

De longues enquêtes réalisées en Chine entre 2000 et 2018, relatives à différentes pratiques théâtrales de la campagne et de la ville, ont fourni des données permettant d’analyser leurs formes de transmission. Les analyses du terrain chinois doivent prendre en compte des distinctions radicales opérant sur trois plans : historique (avec la date-rupture de la prise de pouvoir du Parti communiste en 1949 qui instaure une nouvelle société) ; structurel (avec la distinction pérenne entre deux sphères sociales nommées « espace officiel » et « espace du peuple ») ; et urbanistique (avec la politique actuelle visant 70 % d’urbains en 2025). Les réformes des années 1980 ont permis aux sociétés locales de renouer avec l’« espace du peuple » en retrouvant des formes théâtrales traditionnelles où se pratique un enseignement alliant la relation privilégiée entre maître et disciple, la formation par symbiose dans le partage des activités, et de fortes contraintes physiques. Mais les années Xi Jinping (depuis 2012) tendent à uniformiser la société en écrasant « l’espace du peuple » et les traditions de transmission théâtrale au profit d’écoles de théâtre urbaines. Désormais, le Parti s’immisce dans tous les cercles du théâtre pour mieux les contrôler, tandis que les relations sociales communautaires évoluent vers un individualisme cependant dépourvu de toute possibilité de mettre en pratique des rapports plus libres et égalitaires.

mots-clés : Chine, théâtre chanté chinois, formation, modernité, tradition, officialité


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Recomposer son monde avec du qi (氣) ? Récit d’itinéraires somatiques de trois praticiens français de zhineng qigong (qi gong de la sagesse)

Articulant trois entretiens et des observations de terrain, cet article propose de mettre en récit les processus par lesquels des praticiens français de zhineng qigong recomposent au quotidien la perception de leur corps et de leurs environnements à partir d’un nouvel existant : le qi. Par la mise en perspective de leurs pratiques ordinaires, de leurs discours et des enseignements qu’ils ont reçus, je tente de mettre au jour le rôle de l’expérience somatique dans les conflictualités et négociations ontologiques, axiologiques et heuristiques générées par l’exercice de cette discipline. Se dévoilent ainsi progressivement les multiples gestes de « récalcitrance » inventés par les praticiens pour élaborer des mises en variation de leurs apprentissages du zhineng qigong.

mots-clés : expérience somatique, qi, énergie, zhineng qigong, récalcitrance


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Les étiologies vernaculaires du psoriasis

Cet article présente les premiers résultats d’une enquête ethnographique menée en France et en Belgique auprès de personnes atteintes de psoriasis. Il interroge ce qu’elles ont appris de leur maladie, comment elles ont acquis ces connaissances et quelle attitude elles entretiennent à son égard. L’enquête met en évidence trois attitudes possibles. La première consiste à ne pas chercher à savoir afin d’éviter de s’exposer aux conséquences affectives négatives d’une information à laquelle on ne serait pas préparé. La deuxième consiste à faire avec les informations disponibles, ce qui signifie souvent se contenter de savoirs lacunaires, à demi compris et s’accommoder des angles morts de la compréhension du pourquoi et du comment de sa maladie. Une troisième attitude consiste à chercher à comprendre le mode de fonctionnement du psoriasis dans le but de multiplier les prises et les moyens d’action sur son psoriasis. Cette compréhension est, la plupart du temps, plurivoque, partielle et changeante au cours du cheminement avec la maladie. La construction d’une étiologie vernaculaire du psoriasis s’apparenterait moins à un processus de thésaurisation de connaissances qu’à l’apprentissage d’une capacité à se saisir de savoirs utiles, de ceux qui permettent une prise sur la maladie et sur ses conséquences dans la vie au quotidien. Savoir consiste alors à potentialiser un pouvoir d’agir quitte à s’accommoder de la part de mystère voire, dans certains cas, à suspendre ou renoncer à la quête de sens qui caractérise le plus souvent le cheminement avec une maladie chronique.

mots-clés : psoriasis, étiologies vernaculaires, attitudes épistémiques, pratiques de connaissances, pouvoir d’agir


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Construire des bateaux et son apprentissage dans un chantier-école

Le chantier-école breton sur lequel porte cet article, propose une formation à la charpente de marine à destination de personnes en reconversion professionnelle. Dans ce lieu directement inspiré d’un chantier-école étasunien et de sa pédagogie « expérientielle », l’accent est mis sur la responsabilisation et l’autonomisation de stagiaires qui se voient confier plusieurs projets de constructions de bateaux en bois au cours de leur cursus. Réparti.es en groupe et encadré.es par deux formateurs, ces stagiaires consacrent l’essentiel de leur temps de formation à ces constructions intégrales qui constituent le principal vecteur d’apprentissage de la charpente de marine. Discrète aux premiers abords, la pédagogie qui se manifeste au travers du dispositif chantier-école ou des pratiques des formateurs, suscite diverses tensions qui interrogent les stagiaires et les invitent à se (trans)former tant techniquement que personnellement. En ce sens, loin d’être des effets indésirables, elles participent aux apprentissages de la charpente de marine et de l’autonomie promus au chantier-école.

mots-clés : charpente de marine, chantier-école, apprentissage, dispositif pédagogique, autonomie, ethnographie


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Sujet « prêt à l’emploi » ou « à (trans)former » ? Dilemmes et tensions dans la formation des corps scaphandriers en contexte institutionnel

Dans les écoles de scaphandriers se côtoient des sujets (stagiaires et formateurs) aux biographies, aux formations initiales et aux trajectoires professionnelles différentes ce qui donne lieu à des complicités inédites et des tensions plus ou moins attendues. Une ethnographie à l’échelle de ces tensions en situation de formation témoigne des enjeux d’une inscription de cette profession « récente » dans un réseau d’actions sur les actions des autres du travail alors que l’activité se nourrit d’une histoire entre armées, sport et travail.

L’article mobilise une anthropologie du savoir et une anthropologie du travail pour interroger la construction des sujets dans ce contexte : comment chacun s’empare-t-il de la formation ? Quelles modalités sont mises en œuvre pour s’assurer que les stagiaires seront prêts à s’immerger et travailler dans des environnements hostiles ? Quelles conceptions du sujet cette ethnographie met-elle au jour ?

mots-clés : ethnographie des tensions, transmission, travail, corps, sujet, environnements hostiles


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Apprendre la biomédecine et construire le travail de soin aux marges des savoirs locaux. Réflexions à partir du Burkina Faso

Au Burkina Faso, les facultés de médecine forment les étudiants à partir de programmes calqués sur ceux de pays du Nord dont la France, dans l’intention de les amener à disposer de savoirs biomédicaux et de modes de raisonnement sur le corps, les maladies, la guérison validés par la science. Leur caractère ʺuniverselʺ fonde leur position hiérarchiquement supérieure à d’autres savoirs locaux et participe de la fabrique d’une identité médicale transnationale. Ce cadre d’apprentissage et de transmission du modèle biomédical installe les médecins burkinabè dans une situation de continuité avec leurs collègues, où que se déroulent les formations puis l’exercice médical. Cependant l’usage du modèle appris dans l’ordinaire du travail concret de soin dévoile nombre d’articulations contrariées, tant au regard du contexte sociotechnique et économique étayant les pratiques, que des savoirs et traditions de soin qui réapparaissent dans la temporalité de l’exercice alors qu’ils ont été occultés durant les apprentissages. Depuis le contexte du Burkina Faso et en prenant ancrage dans le récit de vie d’une femme pédiatre, cet article interroge ce paradoxe fondateur des apprentissages biomédicaux valorisant un ʺmodèle idéalʺ réifié de la profession au détriment des réalités complexes, tant économiques que culturelles, dans lesquelles ce modèle doit se déployer. Cette situation produit une violence systémique qui place les médecins dans l’incapacité à sauver des vies alors qu’ils ont appris comment le faire.

mots-clés : formation médicale, Burkina Faso, biomédecine, savoirs locaux


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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Apprentissages à l’épreuve

Cette introduction aborde les apprentissages comme des épreuves, au sens pragmatique. En effet, les situations d’apprentissage recouvrent autant de moments où l’action s’interrompt, où la continuité de la pensée est suspendue et où il faut ré-évaluer, re-négocier, s’accorder pour que les choses reprennent leur cours. Ces épreuves façonnent des zones et des motifs de tensions qui font de tout apprentissage une arène où se rencontrent des forces, des conceptions et des attentes multiples. Les études de cas réunies dans ce numéro proposent ainsi d’analyser la manière dont des savoirs et des compétences sont transmis dans le cadre de situations de frottement et de tiraillement impliqués par la confrontation de savoirs et de modes d’apprentissage dont la nature, l’échelle, la perception ou les principes diffèrent. Pour introduire ces ethnographies, nous y relevons trois niveaux de lecture. D’abord, une attention au fait que les tensions traversant les apprentissages portent autant sur leurs contenus que sur leurs formes, sur leurs cadres techniques autant qu’épistémiques. Ensuite, l’ethnographie de ces épreuves permet une articulation des échelles en jeu, des institutions (proches ou lointaines) aux individus (avec leurs aspirations et leurs frustrations). Enfin, les apprentissages sous tension s’inscrivent dans les temporalités en mettant en évidence continuités et discontinuités dans la reconduction du social autant que dans les manières dont les individus cherchent à se projeter dans l’avenir.

mots-clés : apprentissage, conflit, transmission, savoirs, éducation


Numéro 45 – Juin 2023 Apprentissages sous tension

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La colonialité du genre, ou comment « sauver » les victimes migrantes des violences conjugales

Cet article s’appuie sur une recherche empirique menée sur l’accueil des femmes subissant des violences conjugales dans un centre hospitalier en Suisse romande. Le cadre d’analyse mobilise l’intersectionnalité pour montrer comment l’identité nationale suisse est convoquée par le personnel de santé, face aux femmes migrantes, pour leur faire prendre conscience que leur situation est une situation de violence non admise en Suisse. Cette invocation de la loi suisse sous-entend que le manque de conscience de ce que ces victimes vivent aurait pour cause leur culture d’origine, culture où ces violences seraient censément tenues pour normales. Parallèlement, le manque de conscience des Suissesses des violences subies est mis sur le compte d’un problème psychologique à traiter par la thérapie. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, les résultats démontrent qu’au final, la prise en charge institutionnelle de ces femmes échoue à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur catégorisation ethnoracisée. De plus, cette recherche illustre de manière théorique comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés de manière à prendre en compte la colonialité du genre en train de se faire, au cours de ces échanges étudiés entre le personnel de la santé et les femmes victimes de violences conjugales.

mots-clés : intersectionnalité, violences conjugales, sexisme et racisme, institutions médicales, colonialité du genre


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Quand l’ethnographie attache et engage. Réflexions sur un terrain en tandem au sein d’un réseau associatif se mobilisant pour le patrimoine

À partir de notre expérience de recherche en tandem, nous souhaitons revenir sur la portée heuristique d’une analyse réflexive des engagements du chercheur et de ses émotions. Nous partirons pour cela du récit de trois situations d’enquête retraçant l’évolution de nos postures d’enquêtrices et la dynamique de la relation d’enquête au sein d’un collectif de soutien à la création d’un projet d’écomusée peul au Sénégal. Cette analyse réflexive nous permettra de revenir sur notre positionnement qui a oscillé entre distance, attachement et engagement, mais aussi d’analyser les tensions qui entourent le processus d’écriture, pris entre le temps long de la déprise, les enjeux de restitution et les demandes de participation des acteur·rice·s.

mots-clés : enquêter en tandem, engagement, patrimonialisation en migration, réflexivité, émotions


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Des actrices et un chercheur : une configuration qui pose problème sur le terrain ?

En me basant sur une recherche anthropologique de terrain conduite avec une quarantaine d’actrices dans les alpes valaisannes, je reviens dans cet article sur un enjeu épistémo-méthodologique qui se rapporte à la possibilité pour un homme cisgenre de comprendre puis de rendre compte des discours des femmes avec lesquelles il travaille. C’est-à-dire à “parler pour elles” malgré les statuts sociaux toujours largement inégaux des unes et de l’autre dans nos sociétés occidentales et quelques fortes réserves formulées par certaines auteures féministes. Martin et Roux (2015 : 6) posent cette question de la légitimité dans les termes suivants : « La posture que l’on adopte dans une recherche (…) reproduit-elle nécessairement la position que l’on occupe structurellement dans une société ? ». Se pourrait-il, à l’inverse, que ce cadre d’interactions peu courant contribue à “défaire le genre” pour les personnes impliquées dans l’enquête ?

mots-clés : épistémologie, genre, terrain de recherche, légitimité, division sexuée du travail, projet de développement


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Gringa, habille-toi ! Le corps vêtu, un texte caché des Andes

Pourquoi les habitants d’une communauté des Andes péruviennes ne cessent d’inviter « l’étrangère blanche » à vêtir les jupes locales ? L’article défend l’hypothèse que ces injonctions vestimentaires sont l’indice d’un « texte caché », au sens de James Scott. Grâce à son maniement, mes interlocuteurs résistent à bas bruit au texte officiel – raciste – des rapports de pouvoir dans les Andes : en habillant et déshabillant là où le racisme hégémonique blanchit et indianise. Pour ce faire, cet article met en œuvre une perspective métaréflexive et une anthropologie attentive aux dires minuscules du quotidien quechua et espagnol. J’analyse d’abord comment mes interlocuteurs détricotent les taxonomies dominantes (indio, gringo, mestizo) et opposent, en dernière instance, l’« indienne vêtue » au « blanc nu ». Je montre ensuite que ce contre-texte vestimentaire manipulé dans les communautés s’appuie sur un rapport de domination local – entre les hommes et les femmes –, en resignifiant la pratique d’« habiller l’épouse ».

mots-clés : Andes, vêtement, racisme, anthropologie sociale langagière, quechua, texte caché.


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Observer la masculinité violente en train de se faire au sein de la relation d’enquête. Retour réflexif sur une recherche avec des auteurs de violences conjugales

Cette contribution souhaite analyser les dynamiques de la violence de genre au sein de la relation d’enquête et la manière dont elle s’est révélée au cours d’un terrain ethnographique conduit en France auprès d’hommes adultes et hétérosexuels auteurs de violences conjugales. Après avoir présenté le contexte et la méthodologie d’enquête, l’article se focalise sur deux rencontres spécifiques, analysées à partir du journal de terrain : un premier entretien avec un homme qui fait l’objet d’une interdiction de contact avec son épouse, et un deuxième avec un homme qui, de manière inattendue, s’est présenté au rendez-vous accompagné par la victime de ses violences. Chaque rencontre, coconstruite par l’enquêtrice et l’enquêté en raison de l’imbrication de plusieurs rapports sociaux (race, classe, sexe, âge et origine), est devenue une occasion d’observer pratiquement la mise en scène stratégique du genre et son rapport à la violence, ainsi que la façon dont cette dimension a permis aux enquêtés de se situer dans une position hiérarchique dominante vis-à-vis de la chercheuse. Le questionnement réflexif permet ici de comprendre les effets de la violence masculine contre les femmes non seulement dans l’intimité mais aussi dans la relation d’enquête ; en même temps, il contribue à éclairer les limites et les atouts de l’approche ethnographique qui, en tant que telle, présuppose la proximité et l’engagement personnel par les corps.

mots-clés : violences conjugales, genre, masculinités, réflexivité, subjectivité, émotions, ethnographie


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Le genre : de l’impasse à la catégorie pertinente pour l’analyse du handicap en prison pour hommes

Comment définir le handicap ? Question déjà complexe et qui implique plusieurs points de vue. Comment définir le handicap dans une prison pour hommes ? Voici la question que j’ai eu à résoudre lors d’une recherche doctorale. Cette question est venue “troubler“ une ethnographie au premier abord sans encombre : décrire un milieu qui attise la curiosité, suscite l’indignation et les positionnements moraux. Or, que décrire lorsque le sujet est à la fois foisonnant et conflictuel, quand il semble nous glisser entre les mains ? Une analyse interactionniste a permis de comprendre l’activité constante de jugement, de classement et de catégorisation en prison. La théorie de la « performativité du genre » a ensuite aidé à stabiliser mes analyses. Cet article propose de décrire comment se saisir du « trouble dans le genre », que j’ai éprouvé et provoqué dans le milieu carcéral, m’a permis de découvrir les normes d’hypermasculinité qui régissaient l’ordre pénitentiaire. Dans ce contexte, les prisonniers vus comme handicapés agissaient comme une sorte d’irritant, attirant l’attention sur l’existence de faiblesses et de souffrances que le contexte pénitentiaire œuvrait pour ignorer.

mots-clés : genre, masculinité, prison, handicap, interactionnisme


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Ethnographier en féministe : l’art des conséquences

Dans cette introduction, nous présentons un aperçu “indiscipliné”, à la fois rétrospectif et prospectif, sur l’ethnographie féministe. Revenant sur le développement des études genre, nous identifions trois inflexions importantes qui ont été articulées au cours des quarante dernières années et émergent de façon saillante aujourd’hui : premièrement, les dynamiques genrées qui sous-tendent la production des connaissances scientifiques ; deuxièmement, les effets réifiants et discriminants des systèmes sociaux de catégorisation ; et troisièmement, les hypothèses biologisantes et binaires qui fondent l’ordre du genre et sont au coeur de la division entre nature et culture opérée dans la pensée occidentale moderne. Nous projetant dans le futur, nous décrivons quatre questionnements caractéristiques du champ multidisciplinaire de l’ethnographie féministe contemporaine, qui conduisent à des degrés divers à un “décentrement” de l’objet de la recherche, à une complexification de la question de la parole, à l’expérimentation de pratiques de représentation alternatives et à une éthique du care, de l’attention et de l’engagement. Nous concluons en encourageant les chercheuses intéressées à poursuivre l’expérimentation de perspectives innovantes et “troublantes” sur lesquelles l’analyse de genre a été fondée et continuera de se développer.

mots-clés : études genre, ethnographie féministe, savoirs situés, distinction sexe/genre, nouveaux féminismes matérialistes, intersectionnalité, représentation, éthique du care


Numéro 44 – Décembre 2022 Le genre en train de se faire : trouble dans le terrain

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Les animaux utilitaires peuvent-ils se transformer en victimes innocentes ? Ethnographie combinatoire de pratiques confinées en abattoir et en laboratoire

Cet article se penche sur la question de la violence faite aux animaux utilitaires dans des univers confinés que sont l’abattoir et le laboratoire d’expérimentation à travers la mise en œuvre d’une ethnographie combinatoire. L’ethnographie combinatoire est une méthode comparative qui consiste à multiplier les terrains afin de repérer un ensemble de formes d’action se rapportant à une activité générale. Ce mode d’enquête vise à rendre compte des détails propres à chaque cas, mais aussi à généraliser en distinguant, par la comparaison, des points communs et donc des traits généraux. La question des différences entre les « terrains » est également fondamentale car elle ouvre à la compréhension de l’impact des dispositifs qui, s’ils possèdent souvent des caractéristiques communes, demeurent spécifiques à chaque situation. Les résultats d’une telle ethnographie combinatoire concernant la mise à mort des animaux utilitaires révèlent les difficultés qu’ont les acteurs à mettre en œuvre les injonctions à la compassion et à transformer les non-humains en victimes innocentes d’un « sacrifice » nécessaire.

mots-clés : Animaux, violence, comparaison, abattoir, mise à mort,


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Mont(r)er sans dire. Séquences filmées d’un itinéraire de recherche (Bénin méridional, Bordeaux, Nantes, Guadeloupe)

À travers l’analyse de trois documentaires audiovisuels tournés, entre 2012 et 2018, dans le Bénin méridional, en Guadeloupe et dans les villes de Bordeaux et Nantes, le texte examine les questions heuristiques posées par ma collaboration avec un cinéaste à des moments différents (au début, pendant et à la fin) de mes enquêtes sur place. À partir de ces trois expériences, l’article se focalise sur des contextes significatifs d’un processus mondialisé d’institution d’une mémoire culturelle du passé de l’esclavage. Le propos comparatif met au jour ici, d’un côté, les actions d’individus qui produisent diverses représentations de ce passé dans les espaces publics où ils sont appelés à jouer un rôle et, de l’autre, les modes d’articulation entre la collecte ethnographique des images et la fabrication documentaire de leurs significations. Si ces productions peuvent être appréhendées comme des compléments filmiques au travail de terrain, il s’agit moins de penser les conditions de réalisation d’une anthropologie visuelle que de prolonger une réflexion sur les scènes prises et montées au sein de plusieurs narrations qui communiquent entre elles.

mots-clés : comparaison, documentaire ethnographique, mémoires de l’esclavage, montage d’un film, ironie


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Hommages à Patrick Williams (1947-2021). Présentation

Présentation des textes d’hommage que les revues Ethnologie française et ethnographiques.org rendent à Patrick Williams (1947-2021), ethnologue des mondes tsiganes, anthropologue des univers urbains et du jazz, ainsi qu’auteur de fictions et homme de scène.

Mots clés : hommages, anthropologie urbaine, mondes tsiganes, Manouches, Roms kalderash, jazz, participation observante, littérature


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Quand les voix se répondent

Patrick Williams appréciait l’œuvre de Toni Morrison. Et de fait, ses propres écrits entraient fortement en résonance avec ceux de de la romancière afro-américaine. L’un et l’autre soucieux de vérité et d’authenticité, l’un et l’autre également attachés à la musicalité des mots, ils partageaient une même passion pour le jazz et une même perception fine de la culture urbaine. L’un et l’autre oscillèrent sans cesse entre l’oral et l’écrit, jusqu’à la pratique de la lecture à voix haute de leurs textes, qui leur permit d’expérimenter pleinement ce monde de l’oralité qu’ils n’avaient cessé d’explorer.

mots-clés : Patrick Williams, Colette Pétonnet, Toni Morrison, Tsiganes, Afro-Américains, jazz, ville, culture urbaine, écriture, lecture à voix haute, oralité, performance


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Les Palais de la mémoire. Hommage à Patrick Williams

Patrick Williams, décédé le 15 janvier 2021, fut le grand ethnologue des Tsiganes. Mais il fut également un anthropologue du jazz, un auteur dramatique, un homme de lettres, un homme de scène… En s’appuyant sur deux ouvrages qui ouvrent et clôturent son œuvre , cet article tend à montrer comment, à travers ces multiples activités, Williams fut surtout l’anthropologue d’une certaine forme de temporalité inhérente à l’oralité qui est le kaïros, cet art du temps dans lequel pour reprendre une formule de Michel de Certeau, « l’éclair de la mémoire brille dans l’occasion ».

mots-clés : Patrick Williams, oralité, temporalité, kairos, jazz, Tsiganes, Manouches, Django Reinhardt, musique


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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L’interprète sur le terrain de l’anthropologue : rencontre interdisciplinaire

La collaboration avec des interprètes est courante dans les enquêtes qualitatives de terrain. Nous analysons ici la présence de ces médiateurs linguistiques sur les terrains de l’anthropologue et la nature des relations entre l’anthropologue et son interprète. Notre approche associe les connaissances anthropologiques aux réflexions théoriques récentes menées en traductologie. Cette analyse croisée permet de comprendre les enjeux spécifiques de l’interprétariat dans les enquêtes de terrain : l’absence de formation en interprétation, le profil linguistique des interprètes et l’impact de leur présence à différents stades de l’enquête. Dans la dernière partie de cet article, nous proposons des pistes concrètes pour mieux gérer les travers de l’interprétariat lors d’une enquête qualitative de terrain.

mots clés : terrain ethnographique, interprète, assistant de recherche, éthique, méthodologie, ethnolinguistique, traduction, entretiens


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Le faire-comparer. L’intersubjectivité à l’œuvre dans les échanges marchands euro-marocains

Cet article présente un processus d’enquête nommé le « faire-comparer ». Celui-ci implique les acteurs du terrain autant qu’il implique l’ethnographe lorsque les deux partagent une même origine. L’échange permet de faire éliciter les imaginaires, les ambivalences et les représentations des enquêté.es, en mobilisant à la fois les confrontations et les connexions qui se jouent dans les modes d’appartenance de chacun. Ce n’est plus seulement le chercheur qui compare mais aussi les enquêté.es. À partir de différents terrains ethnographiques sur les échanges marchands entre le Maroc, la France et la Belgique, l’article décrit tout d’abord la mise en circulation commerciale des objets et des services initiés par des entrepreneur.es d’origine marocaine en Europe. Dans un second temps, il discute les enjeux théoriques de la démarche comparative, lorsque l’enquêté.e est invité.e à contribuer à la méthodologie et à l’analyse de la recherche. À la lumière des dévoilements qui se révèlent à travers le faire-comparer, la dernière partie de l’article est consacrée aux desseins de la comparaison dans le contexte de l’entrepreneuriat transnational.

mots-clés : anthropologie, comparaison, diaspora, circulation transnationale, diaspora marocaine


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Pour une comparaison « au ras du sol »

En guise d’introduction, cet article indique la perspective dans laquelle sont envisagées, dans ce numéro, les relations entre ethnographie et comparaison. Longtemps perçue comme une voie royale d’accès à la découverte de lois générales en anthropologie, la comparaison est au contraire appréhendée ici comme essentielle au travail ordinaire de l’ethnographe sur le terrain, tant pour comprendre et analyser un espace social et culturel spécifique que dans la pratique d’une ethnographie multisituée. Le premier comparatisme auquel se confronte le chercheur n’est-il pas en effet celui de ses interlocuteurs ?

mots-clés : comparaison, ethnographie, réflexivité, construction de comparables


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Jeunes musulmans et citoyenneté. Défis et apports d’une ethnographie comparée Italie-France.

Cet article propose un retour réflexif sur ma thèse de doctorat en science politique, consacrée au rapport entretenu par des jeunes musulmans, enfants d’immigrés, à la citoyenneté. Il porte en particulier sur l’évolution du dispositif d’enquête comparatif, liée au défi de la traduction des catégories d’analyse. Cittadinanza/citoyenneté, tout comme nazionalità/nationalité, ne sont pas des termes complètement équivalents, ce qui n’a pas été sans effets sur l’accès et la réalisation des terrains. Ces aspects ont non seulement modifié la trajectoire de la recherche, devenue résolument plus ethnographique, mais ils ont été heuristiques pour la construction de l’objet lui-même. Le choix de ne plus considérer les termes clés comme des catégories analytiques mais comme des catégories indigènes sur lesquelles enquêter, a permis de se focaliser sur l’essor et les effets – notamment nationalisants et dépolitisants – d’un “parler citoyenneté'” au sein de deux associations dites « de jeunes musulmans », l’une en Italie et l’autre en France.

mots-clés : Citoyenneté, jeunes, islam, comparaison, France, Italie, association, ethnographie, traduction, nation.


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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Réflexions comparatives autour du contrôle de la violence dans les affrontements rituels de Zitlala (Mexique) et de San Pedro de Macha (Bolivie)

À Zitlala au Mexique et à San Pedro de Macha en Bolivie se déroulent chaque année des combats rituels où les protagonistes s’affrontent à poings nus dans un échange de coups portés sans retenue. Ces rixes, loin d’être une singularité ethnographique, s’inscrivent dans un registre de pratiques physiques dont les autorités morales et politiques ont de tout temps tenté de contrôler et de limiter l’expression mais qui étaient largement répandues dans le monde avant le XXe siècle et le développement hégémonique du sport. Si les combats de Zitlala (xochimilcas) et de San Pedro de Macha (tinku) sont proches dans leurs principes (aires d’affrontement fluctuantes au sein d’une foule, absence de techniques pugilistiques, forte consommation d’alcool), leur déroulement en revanche diffère au sujet du contrôle de la violence entre les protagonistes : arbitrage collectif pour Zitlala, présence de forces de l’ordre pour San Pedro de Macha. Dans une perspective comparative, nous étudierons ici les différentes stratégies déployées par les acteurs sur les deux terrains pour éviter que la confrontation ne verse dans la bagarre générale, toujours affleurante.

mots-clés : comparaison, affrontement, autocontrôle, combat, jeu, rituel, sport, violence


Numéro 41 – juin 2021 Ce que la comparaison fait à l’ethnographie

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